mardi 20 septembre 2011

grotte des rêves (re)

J’ai pu assister à la projection de ce que mon cinéma nomme « grotte des rêves » lundi 19 septembre 2011, chaussé des lunettes 3D adéquates. Voir en stéréo est toujours pour moi un régal, et les gorges de l’Ardèche sont impressionnantes, avec au premier plan l’arche gigantesque de Pont d’Arc ; les falaises verticales, les chemins incrustés dedans, au gabarit d’un ours des cavernes à quatre pattes. L’entrée de la grotte est à une altitude inimaginable au-dessus de la rivière, et on devine l’ancienne anfractuosité étroite comme un chas d’aiguille par laquelle Jean-Marie Chauvet et ses deux copains sont entrés la première fois : une séquence montre un parfumeur sentir les fentes de la roche, à la recherche de l’odeur de cave qui sort des grottes enfouies, espérant trouver un clone à la grotte Chauvet, car en Ardèche aujourd’hui, tout le monde hume les falaises ! Le site a été fermé par une porte blindée, et la grotte a été équipée par terre de passerelles de tôle inox, et les parois d’une via ferrata sur laquelle les visiteurs enclenchent leurs dégaines pour éviter de marcher sur un sol recouvert de vestiges, et de casser stalactites et stalagmites.

L’intérieur de la grotte est recouvert de calcite qui brille à la lumière. La calcite a même recouvert empreintes et ossements, surtout d’ours des cavernes, qu’elle a transformés en fossiles. Mais quand elle est absente, faute de fuites d’eau calcaire,  les parois sont blanches, et lisses, tellement qu’on a envie de les frotter de la paume de la main. Lisses mais sinueuses, parsemées de trous, de pendeloques, de niches. C’est là que la vision en relief donne toute sa puissance : nous sommes des souris minuscules, dans un gruyère dont le centre serait troué de caves formées de bulles juxtaposées.



















L’artiste, notre ancêtre de 30000 ans, a utilisé la paume de sa main (dont le petit doigt gauche était tordu), pour peindre à l’entrée une plaque beige en la recouvrant de paumes positives ocre rouge. Un peu comme du rouge-basque. Plus loin, il soufflera l’ocre sur la même main pour aligner des mains négatives comme à Gargas. Les ours jaloux ont plus tard revêtu les parois des rayures de leurs griffes.
On ignore s’il s’agit de la même personne, qui utilisait comme torche un brandon de bois allumé. De temps à autre, il frotte (il mouche) son brandon sur une protubérance pour raviver la flamme : on voit la trace noire sur la roche. A l’aplomb dessous il est tombé de petits cubes de bois noir calciné, vestiges de ce geste.
On ne dit pas s’il utilisait en guise de fusain ce même charbon noir : mais il a tracé des traits, d’un seul jet de 2 mètres voire davantage, qui tracent un couple de lions des cavernes, le mâle derrière marqué par son scrotum. Il est sans crinière ce qui lève la question posée par les zoologues. Et par dessus, en traits parallèles car elle est plus petite, la lionne. Je ne vois que Picasso pour tracer des traits d’un seul jet, si nets, et élégants.


Ailleurs, c’est les quatre fameuses têtes d’équidés, je ne dis pas chevaux, car on hésite entre tarpans ; et chevaux grecs tant leur crinière est drue, et l’encolure élégante.
Ailleurs encore un combat de rhinocéros, avec des cornes nasales immenses, courbées comme un arc, ou plutôt des arcs juxtaposés pour simuler le mouvement comme dans les meilleures bandes dessinées d’aujourd’hui.
Pas de représentation humaine : seule une pointe tête en bas dont l’accès est interdit pour ne pas abîmer le sol de calcite, représente le bas du corps d’une vénus, affublée d’un torse et d’une tête de bison : un minotaure femelle. Du coup, Werner Herzog (qui est né à Munich deux mois avant moi et n’oublie pas qu’il est Allemand) file  dans le Jura souabe, pour nous montrer des grottes identiques quoique non ornées, mais dans lesquelles on a trouvé des Vénus callipyges, qui ressemblent à la nôtre de Lespugue.


Ayant attaché une caméra au bout d’une perche, Herzog finit par filmer le panorama du fonds, si étonnant, avec son défilé de félins ; rhinocéros ; cervidés ; et chevaux grecs. Un cheval est mis en perspective dans une niche, en retrait au centre, en forme de W renversé. La lumière des torches le montre vacillant, on devine que c’est  le saint des saints, le Dieu Centaure.

Grandiose !

Vingt sept mille ans plus tard, on voit beaucoup d’homo sapiens (ou plutôt spiritualis) contemporains. Jean Clottes, né dans l’Aude en 1933, le spécialiste reconnu de l’art pariétal et des pratiques chamaniques. Jean-Michel Geneste donne un cours (ex cathedra) en anglais, retraduit en français pour les disciples d’Astérix  qui (bêtement)  continuent de parler la langue de Molière. Dominique Baffier, la conservatrice de la grotte, représente la haut-fonctionnaire française typique, genre Vénus hottentote : tous les personnages administratifs du Ministère de la Culture et du CNRS sont montrés par deux, le ou la spécialiste (qui étudie, photographie, range) ; le ou la Chef hiérarchique. Comme il ou elle est le ou la Chef,  c’est lui ou elle qui parle, pour expliquer le sens de l’objet qu’a trouvé le ou la collègue-spécialiste : une flute tirée d’un os de vautour. Il (ou elle) est lié par la solidarité de Corps, il ou elle tolère la présence de la collègue de rang inférieur, mais ne lui laisse prendre la parole qu’après lui (ou elle). On dirait  que c’est avec un sens très fin de la hiérarchie française que notre ami allemand Werner a filmé tout cela : comme s’il avait voulu montrer que 30.000 ans après, la civilisation n’avait pas  ajouté tant de finesse et d’égalité que cela dans nos mœurs !


C’est même comme s’il avait filmé les traces d’un peuple ancien, allons-y d’origine germanique, qui passait des vacances dans la France d’aujourd’hui, y ayant laissé des carte-postales sublimes. La faune était celle d’un climat froid, l’homme était minoritaire par rapport aux grands animaux. Grand voyageur, ce peuple se baladait dans toute l’Europe du nord.

Et puis voilà que par hasard, les Français héritent de ce patrimoine qui les dépasse. Leurs (petits) fonctionnaires conservent ce patrimoine mondial, passant (en pleine crise) des heures à photographier chaque tableau, et luttant pour interdire l’entrée, et se garder l’exclusive. Au nom de la conservation pour les générations futures.

Merci Werner Herzog d’avoir forcé l’entrée, et de nous avoir montré ces merveilles.

Il ne sert plus à grand chose aujourd’hui de reconstituer de fausses grottes pour admirer ces oeuvres d'art : quelques heures de film en 3D suffisent pour montrer à la planète entière les vrais dessins,  la classe artistique de nos ancêtres, et les chefs-d'oeuvre qu’ils savaient créer en frottant des morceaux de bois calcinés sur les parois lisses et tourmentées de leurs grottes.

Ce sont bien leurs grottes. Nous n’en avons que le dépôt provisoire. Elles appartiennent à l’humanité.

Vive le cinéma 3D !

un message sur le même sujet a été publié en août avec pour titre : cave of  forgotten dreams : je n'avais pas vu le film à l'époque ! C'est sur babone5go : allez-y, il y a d'autres photos !